LE CHIFFRE

- Les peuples ont obtempéré quand leurs gouvernants se sont, pour une fois, mis d'accord et ont décidé, non seulement de stopper la croissance démographique, mais de ramener la population à un seuil supportable.

- Vous parlez du Chiffre ?

- Le Chiffre, oui. Le Chiffre sacré qui permet de se partager sereinement les richesses de cette planète sans avoir besoin de s'entretuer. Il n'y a plus de guerre, d'ailleurs, entre les cités. Là-dessus on ne nous a pas menti.

- Et la Battue ? - … Oui, la Battue… Qu'est-ce que la Battue sinon la pire des guerres, celle où l'on conduit les plus faibles à s'exterminer sans se salir les mains ?... Tu es intelligent pour un bâtard… Tu es curieux, tu es capable d'éprouver du chagrin et tu es intelligent. Je comprends qu'on te trouve décevant.

.....

- C'était comment, avant ?

- Avant quoi ? s'est fait prier mon interlocuteur. Une flamme était revenue dans ses yeux : avec ma satanée avidité d'en savoir toujours plus, je retombais sous son emprise. Mais ça m'était égal. Je me suis entêté :

- Avant le Chiffre, la Stabilisation, Le Conseil Mondial, les Commandements, tout ça. Mon père appelle cette époque la Vie barbare.

L'époque où les mères reprochaient à leurs enfants d'être curieux ? L'époque où l'on avait du chagrin, c'est ce qu'il appelle la Vie barbare ?

- C'est comme ça qu'elle s'appelle, non ? ai-je objecté, agacé. Dans ses discours télévisés, mon père est très clair sur ce sujet et il décrit si bien l'enfer de ce temps-là, le temps du surpeuplement, que maman et moi, comme tout le monde, nous réjouissons à chaque fois de ne pas l'avoir connu. Sans s'offusquer de mon impertinence, le vieux s'est exécuté :

- En ce temps-là, la vie, c'était le désordre, l'incertitude, la contradiction. On ne savait jamais clairement où étaient le bien et le mal. Qui étaient les bons et les méchants. Et on se posait en permanence la question : qui a raison, qui a tort ? Où est la vérité ? Ces questions étaient obsédantes et menaient à toutes les erreurs, tous les excès…

- Hé bien maintenant, l'ai-je interrompu, c'est réglé ! Plus personne ne se pose ce genre de questions.

- Je ne sais pas si c'est réglé, mais plus personne ne s'interroge là-dessus, tu as raison. Plus personne ne s'interroge sur quoi que ce soit.

C'est bien la preuve que tout est rentré dans l'ordre, ai-je déclaré avec véhémence. Il n'y a plus de guerre. Les bons, comme vous dites, ont gagné.

- Non, pas les bons : les plus forts, a nuancé le vieillard. Ce sont les plus forts qui ont gagné.

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