AH VOUS DIRAIS-JE MAMAN

Il courut à l'étage, fit entrer le soleil dans toutes les pièces, puis s'enfonça dans l'eau brûlante en soupirant d'aise. Il lui sembla que l'anxiété ressentie depuis le réveil, une angoisse diffuse qui pourrissait l'air de cette journée lumineuse, se diluait avant de disparaître. Il se mit à chanter, d'abord moderato, puis de plus en plus fort, et bientôt à tue-tête, une de ces comptines que Miss lui avait apprise quand il était petit : " Dors mon bébé magnifique /Bayouhki bayou/Sur ton lit la lune incline/Son visage doux/Ma voix te dira des contes/Des chants de chez nous/Ferme tes yeux que j´adore/Bayouchki bayou. "

Comme il était heureux ! Miss était proche, il la sentait tourner autour de lui, rassurante comme la flamme ambrée d'une bougie.

Bayouchki bayou, se mit-il à hurler à tue tête.

Soudain, il s'arrêta. Il était certain d'avoir entendu une voix au fond de la maison, quelque chose d'indistinct, un voisinage mystérieux de notes qui s'égrenaient dans l'air comme une bruine à peine visible, Dors mon bébé magnifique /Ferme tes yeux que j´adore.

Il bondit hors du bain, attrapa une serviette, s'enroula dedans et courut à travers les couloirs vides où le mortellement de ses pieds soulevait des brumes de poussière. Plus un bruit. Seul l'écho de ses talons sur le parquet. Il n'était pas fou, tout de même ! Ces bribes de chanson n'étaient pas dans sa tête, elles venaient de l'extérieur, il en était sûr. Mais d'où ? Il pensa un moment que cela provenait du grenier, grimpa les marches quatre à quatre, le corps et le cœur agités de secousses incontrôlables. La porte du grenier tenta de lui résister. Il l'explosa d'un coup d'épaule. Il y avait peu de choses. Son vélo d'enfant, la cage aux oiseaux, ses patins à roulettes, deux fauteuils défraîchis, un divan défoncé, une armoire vide, et son piano droit. À tout hasard, il fit jouer le tiroir de l'armoire. En même temps que se dispersaient dans la pièce des fragrances diffuses de terre mouillée, les paroles oubliées d'une comptine qui le faisaient trembler quand il était petit, en jaillirent. Elles se mirent à résonner dans toute la maison, de la cave au grenier, se cognant violemment aux murs, ricochant comme des toupies affolées : " Une puce, un pou, assis sur un tabouret/Jouaient aux cartes, la puce perdait/La puce en colère, attrapa le pou/Le flanqua par terre, lui tordit le cou/Madame la puce, qu'avez-vous fait là ?/J'ai commis un crime, un assassinat. "

Heligan redescendit en hurlant. Les dernières paroles le poursuivaient comme une cataracte prête à l'engloutir,

J'ai commis un crime, un assassinat.

J'ai commis un crime, un assassinat

J'ai commis un crime, un assassinat.

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