Critique de Pierre Stolze parue dans la revue Bifrost
N°73 janvier 2014
reproduite avec l'autorisation de l'auteur
Sonia Quémemer, après avoir longtemps vécu dans les DOM-TOM
(dixit la 4° de couv'), après avoir longtemps travaillé dans l'ingénierie
informatique, s'est brutalement et entièrement consacrée à la traduction
et à l'écriture. Traductions d'œuvres anglo-saxonnes (notamment
pour Bragelonne) et … publication d'un premier recueil de nouvelles
chez Lacour, Paysages d'Après. Ou plutôt, un recueil de 11
nouvelles précédées d'une novella. Tous les thèmes classiques de
la SF y passent, avec bonheur : monde parallèle (Métro ou Mongols
en Mongolie), monde post-apocalyptique (Essors), rencontre avec
des E.T. (Harmonie des Choses), paradoxe temporel (Fossiles), résurrection
du passé ou temps à l'envers (Ils n'étaient pas tous des Géants,
Sruober A, c'est-à-dire, pour le lecteur distrait, A Rebours), expérience
psychique déstabilisante ( Fuyante, et surtout Marche en Silence,
un cauchemar qui fait penser à la nouvelle inoubliable de Dominique
Douay, Thomas). On reste confondu par cette inconnue qui a su si
bien intégrer l'essence même de la SF, son pouvoir subversif, sa
façon de nous faire voir les choses de biais, histoire de découvrir
ce qui était caché sous des apparences trompeuses. Un résumé de
la novella d'ouverture, Essors ? Le voici. Zita, milliardaire et
féministe convaincue, décide de quitter " ce monde voué au chauvinisme
mâle et à la guerre ". Avec des amies, elle s'envole sur de gigantesques
oiseaux créés par génie génétique et ne se nourrissant que par photosynthèse.
Là-haut dans les nuages, elles vivent en totale autarcie et se reproduisent
par parthénogenèse. Les générations se succèdent tandis que sur
Terre, une guerre atomique, attendue comme une évidence par les
fugitives et enclenchée pour raisons religieuses, détruit toute
civilisation. Mais les oiseux ne sont pas éternels. Ils meurent
les uns après les VERteuil260#@autres, s'échouent sur le sol, et les descendantes
des premières féministes doivent composer avec les survivants de
la guerre. Notamment les mâles. Mais Zita avait un plan destiné
à faire disparaître tous ceux-là pour un monde peuplé uniquement
de femmes … Ce plan préparé de longue date (digne de celui de Hari
Seldon dans Fondation) pourra-t-il être contrecarré ? Cela paraît
a priori un brin loufoque, mais les explications finales sont quasi
hard-science. Certes, le thème d'un monde uniquement féminin n'est
pas neuf. Je pense notamment à Misandra de Claude Veillot (1954,
J'Ai Lu n° 558, 1974). Néanmoins, une novella à chute, comme une
short story, cela est rare … L'écriture de Sonia Quémener est sèche,
précise, sans fioritures inutiles. Et son humour est des plus noirs.
Ah ! j'aurais aimé un peu plus de poésie, de " fantaisie ", moins
de constats quasi cliniques. Parfois, je suis resté sur ma faim.
J'aurais aimé plus de détails, plus de descriptions, plus de sensations
et de sentiments, ainsi concernant la vie quotidienne sur le dos
de ces immenses oiseaux ne se posant jamais sur terre … Dire que
des textes sont trop courts, c'est un comble aujourd'hui, quand
la règle est l'inverse et que tant d'auteurs tirent à la ligne !
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